Du 28 mars au 18 avril, j'ai dû m'absenter, mes proches en savent la douloureuse raison. Rentré à Auray, j'ai pu constater le travail que Raphaël a fait sur CAMILOU pendant mon absence, ce qui m'a d'abord encouragé à poursuivre l'entretien de toutes les parties en teck. Il avait remarqué du mou dans mes haubans et j'ai demandé à un professionnel de les régler pendant mon absence, le chantier de révision en janvier les avait bien vérifiés mais le réglage n'était pas compris dans la prestation. Bien sûr, dans l'absolu, un bon marin se doit de procéder lui-même à ce réglage...Ce même pro a identifié l'origine du bruit de la roue (la barre), et m'a rassuré : pas de jeu dans le système interne, simplement un frottement sur les carters en plastique qui se déforment à la longue.

Puis vint la période des doutes récurrents sur mon projet : difficulté de trouver des équipiers, notamment pour la période de deux semaines pendant laquelle je dois par contrat ne pas être à La Trinité, confinement qui m'interdit d'aller d'un port à l'autre, souci de l'ancre trop lourde à manipuler. Et là, une réflexion de candide, en l'occurrence le dénommé Riton, m'a fait gamberger: j'ai vérifié qu'en effet cette ancre très longue ne pouvait pas rester à poste mais qu'en regardant les catalogues, je pouvais sans-doute en changer. J'ai opté pour une ancre Delta que j'ai pu voir en place sur le bateau de Romain, le très serviable responsable du shipchandler USHIP . Pas trop chère, je l'aurai dans quelques jours, et c'est un gros souci de moins car ainsi je peux envisager de me passer de ports si le confinement continuait. Me restera à me débarrasser de l'ancienne CQR, Celles Qui Ripent comme dit Romain, et en effet une des rares fois où je m'en suis servi, elle avait chassé!

J'avais prévu une sortie confinée vers le 28 avril de trois jours avec Madeleine, mais elle en est empêchée.

Alors j'ai décidé de refaire le point sur ma capacité à naviguer en solo, ce que je n'avais pas fait depuis août 2020, car s'il m'était difficile de naviguer seul et de trouver des équipiers, ma brillante carrière maritime devrait s'arrêter ...J'ai choisi le samedi 24, conditions idéales, pour aller jusqu'à HOUAT, me mettre à la cape (disposer les voiles de sorte que le bateau n'avance presque plus mais dérive dans le sens du vent) pour déjeuner et rentrer. Le départ est très long, préparer le bonhomme, le bateau, défaire toutes les amarres en doubles pour préparer le départ avec du vent qui pousse vers le voisin. J'ai essayé une technique apprise au stage solo de MACIF, mais je ne l'ai pas bien exécuté, en fait elle a trop bien marché en ce sens qu'au lieu d'être poussé vers la bateau à babord comme d'hab en marche arrière, j'ai trop serré sur tribord. Heureusement, un marin de passage m'a vu en difficulté et est venu tenir le bateau ce qui m'a permis de sortir.

Il était 13 H et j'étais épuisé. Rituel dans le chenal, fastidieux, de rentrer amarres et pare-battages , au pilote automatique en gardant un œil sur la route, j'ai failli me payer une bouée d'ailleurs. Enfin, j'ai gagné la zone où je pouvais me mettre bout au vent pour hisser la grand-voile, toujours difficile seul au pilote automatique et horreur, je me suis rendu compte que les bosses de ris ( les cordages fins qui sont attachés à la bôme, passent dans les œillets de la voile, puis repartent à l'intérieur de la bôme jusqu'au mat où un système de poulies les renvoient le long du pont au "piano" qui permet de les border -les tendre - facilement depuis le cockpit ou de les relâcher) étaient bordées, ce qui empêche de hisser, alors que n'ayant pas pris de ris à notre dernière sortie, j'étais sûr qu'elles étaient relâchées, en vrac dans les creux de la voile . Il faut alors tirer sur les bosses qui passent dans la bôme , ce qui est une gymnastique pas commode. Enfin la voile est hissée, je peux prendre mon cap, renseigner le livre de bord et dérouler le génois (la grande voile d'avant qui reste enroulée autour de l'étai - le câble le long duquel la voile est fixée - quand on ne s'en sert pas )..boire et souffler. Beau temps, bonne brise, mer calme, allure bon plein (le vent arrive de face à 60 degrés par rapport à la route du bateau), idéale pour Camilou qui file à 5 noeuds vers Houat, que j'atteins vers 15H, mais le vent tombe un peu et je perds du temps à contourner les rochers pour me trouver devant la grande plage d'Houat orientée Est. Je me mets à la cape, c'est la première fois que je le fais, je tâtonne avant d'y arriver, c'est-à-dire que le bateau garde cette allure, recevant le vent de côté. Je me dépêche de manger, mais je dérive trop vite vers la plage, à 6m de hauteur d'eau je lâche mon poulet froid et je fais repartir le bateau vers la Trinité. Il faut contourner un ilot dans l'autre sens, puis virer de bord pour prendre le cap de La Trinité. Je prends bien mes marges pour ne pas virer trop tôt, mais mon virement, sans l'aide du pilote automatique, mauvais choix, n'est pas bon et je vois qu'il faut du coup être au près très serré ( à 30 degré du vent de face) alors que le vent faiblit. A un moment, je vois que je ne passerai pas et je lance le moteur pour me tirer de ce mauvais pas, puis cap sur la Trinité, avec un vent de travers qui me fait marcher entre 5 et 6 noeuds, au pilote automatique.

Je peux finir mon poulet mayo, yaourt et fruit, boire, boire et encore boire. Me reposer, sauf qu'il y a pas mal de bateaux et que je dois veiller. En deux heures on est arrivés à l'entrée du chenal. Encore l'erreur de penser que je peux lâcher la barre sans mettre le pilote, le bateau immanquablement fait une bêtise, en l'occurrence un virement de bord intempestif... Enrouler le génois, moteur, bout (face) au vent pour affaler (descendre) la GV, re rituel pare-battages et aussières, et arrivée parfaite à ma place , bateau quasi stoppé, amarre d'embelle (amarre frappée-attachée- au taquet au milieu du pont, à son endroit le plus large, dit "point d'embelle") vite tournée sur le taquet au milieu du catway (le ponton étroit le long duquel on s'amarre) , ce qui permet de coller le bateau audit catway, et de frapper tranquillement les autres amarres. Pour que tout soit nickel, il faut quand même une demi-heure, pour reculer un peu CAMILOU, pour remplacer l'amarrage provisoire par l'équilibrage définitif en faisant en sorte que tout puisse être réglé depuis le bateau, sans laisser traîner des bouts d'aussières sur les pontons.

Je décide de prendre une douche froide, très courte, dans le bateau, de manger, de ranger le bateau et de dormir à bord. A ma grande surprise, je ne suis pas aussi épuisé que je le croyais; à cet instant là (comme dirait JLM) je me dis que le solo, c'est trop limite, c'est même ce que je dis à un potentiel équipier qui me téléphone après ma douche, mais j'ai conscience que j'ai surmonté toutes les difficultés de cette belle journée. Et puis le lendemain, après une nuit pourtant pas très bonne, je me suis senti en forme, comme depuis longtemps, je pensais que j'aurais besoin de récupérer toute la journée, pas du tout. Je suis rentré à AURAY , j'ai marché deux heures et j'ai décidé de faire en solo les trois jours encore confinés en fin de semaine du 26 avril , si j'ai reçu ma nouvelle ancre.

Quant à la quinzaine qui suit, soit je trouve un équipier, soit je la fais en solo si les trois jours achèvent de me conforter et sinon je devrais négocier avec la capitainerie les dates de libération de ma place.

C'est fou, quand je ne navigue pas, je suis envahi de pensées négatives, et en fait dès que je navigue, malgré les erreurs, la fatigue, je revis. Les pensées négatives ne sont pas tout-à-fait inutiles, car elles me font réfléchir aux solutions, l'ancre en est un exemple, ou anticiper des achats de carte même si je ne suis pas sûr de pouvoir partir mais qui me manqueraient si au dernier moment la croisière devait se faire.